Juillet 78 à St Martin de Ré, sur le port.
Quelques portraits, d'hier à aujourd'hui...
 
Mon œuvre
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De 1978 à 1987, j'ai «tiré le portrait» chaque été sur l'île de Ré d'environ trois cents personnes ; je travaillais le plus souvent à partir de photographies fournies par mes clients, ou bien de celles que je prenais d'eux au Polaroid. Si l'on y ajoute la cinquantaine de portraits que l'on me commandait et que j'envoyais hors-saison, cela représente plus de 3000 dessins, crayons, fusains ou pastels, dont il ne me reste évidemment rien aujourd'hui ! Tout n'était pas d'égale qualité et je ne me fais pas d'illusion sur la valeur artistique profonde de ce travail mais enfin je faisais chaque fois sincèrement de mon mieux pour livrer aux gens qui me faisaient confiance le plus ressemblant* et le plus «beau» portrait possible. Parce que j'aime ça je contine de temps à autre à portraiturer mes amis ou ma famille ; et puis il y a parfois quelque commande en ce sens. C'est cela que je montre ici.

*le «minimum syndicale» du portrait de rue..
 


La première année, je m'installais tous les après-midis vers 17 heures à cet endroit du port ; j'y dessinais pendant une heure et demie, prenais et livrais mes commandes. Une fois mon matériel installé, j'avais pris l'habitude de jouer un petit morceau composé pour la circonstance sur mon accordéon diatonique ; une sorte de «bourrée»... lire la suite  
 
 
 
... qui indiquait que j'étais là et que «le spectacle allait commencer» ; après quoi je me mettais à dessiner. Le même morceau une heure et demie plus tard annonçait mon prochain départ et il m'arrivait aussi de jouer pour le plaisir entre deux portraits ou à la demande d'un gamin intrigué par l'objet posé à mes pieds. J'avais remarqué un petit vieux de l'hôpital qui s'arrêtait parfois pour m'écouter à distance. Au bout de trois ou quatre fois il s'est approché et m'a dit que lui aussi avait joué de l'accordéon diatonique quand il était jeune. Je lui ai proposé d'essayer sur le mien, il s'est accroupi, l'a posé sur un genou et a esquissé quelques notes : sans doute avait-il joué, mais c'était il y a longtemps... Mais il est revenu tous les jours suivants, se souvenant petit à petit de plusieurs airs. Puis une après midi il est arrivé très décidé, s'est emparé d'une chaise à la terrasse la plus proche, s'est installé à mes côtés, a jetté son béret devant lui et s'est mis à jouer avec une énergie que je ne lui soupçonnais pas ! Les premières pièces gagnées il s'est commandé un ballon de rouge et a continué ainsi jusqu'à ce qu'il eut épuisé son répertoire ; puis il fourra l'argent qui restait dans sa poche, me dit au revoir et partit. Raymond vint désormais tous les jours, hachant menu la plupart des morceaux qu'il exécutait avec un sens du rythme assez particulier, mais avec un tel plaisir évident et une bonne humeur si communicative qu'on lui pardonnait volontiers. Son seul défaut, pour le peu que je connus de lui, était une certaine propension à s'enflammer au bout de deux ou trois verres et de ponctuer alors ses envolées diatoniques de «Hell Hitler» tonitruants, assez déplacées je dois le dire à l'heure des promenades familiales sur le port de St Martin au mois d'août... débordements encore exacerbés par toute proximité réelle ou supposée de touristes germains... Pour lui les choses étaient simples : il y avait les allemands, avec lesquels il n'avait personnellement jamais signé d'armistice et le reste du monde ; les allemands s'appelaient les «boches» et était allemand tout ce qui passait à portée en short avec les cheveux blonds et des coups de soleil ! Si l'on passait sur ce nationalisme, probablement traumatique, que je m'efforçais de tempérer de sérieuses engueulades et d'un certain nombre de coups de coude, c'était sinon un joyeux compagnon, toujours blagueur et de bonne humeur et notre association informelle était un succès ; son tintamarre attirait les regards et me valait sans aucun doute des clients et ceux-ci ne manquaient jamais de lui glisser une pièce. Il gagnait si bien de l'argent que je lui avais suggéré d'économiser, une fois ses verres de vin payés, afin pourquoi pas de s'offrir un accordéon d'occasion avec lequel il pourrait continuer à jouer une fois que je serais parti. Raymond avait refusé, les économies, c'était pas son truc. J'avais fini par repérer une curieuse connivence avec plusieurs anciens passant et repassant le long du port, de très subtils clignements d'yeux, quelques gestes esquissés... Un commerçant du port qui connaissait son monde m'en donna l'explication vers la fin de la saison : Raymond achetait tous les jours une caisse de rouge qu'il planquait dans un des petits bâtiments à l'abandon le long des remparts et il y tenait bar ouvert pour ses copains de l'hospice ; discrétion oblige, ceux-ci s'y rendaient seuls ou à deux ou trois en des allées venues très discrétement louvoyantes. L'argent que Raymond gagnait avec mon accordéon faisait marcher le petit commerce et entretenait la bonne humeur des petits vieux de l'hôpital ! Brave Raymond...
  Raymond parti, ma journée s'achevait bientôt et je fermais boutique en jouant mon morceau fétiche. Puis je récupérais mon 103 Peugeot garé à proximité que je dressais sur sa béquille au milieu de mon installation et je commençais à tout démonter ; des deux terrasses situées de part et d'autre, très occupées à ce moment de la journée, pointaient alors sur moi autant de regards dubitatifs... Pourtant, une fois mes portraits encadrés et ma planche à dessin rangés dans un carton, le chevalet et mon siège repliés, l'ensemble surmonté de mon accordéon et muni de tendeurs tenait assez bien sur le porte bagage de mon cyclomoteur ; ma prestation et le résultat devaient être assez intérressants puisque l'on m'applaudit plusieurs fois.
     

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